Dans la région, il y aurait un super truc à voir : le mont Nemrut avec ses têtes de statues assez énormes. J'hésite beaucoup pour y aller mais en fait je préfère tracer, je me moque de ce machin touristique, le temps est couvert, et puis j'ai eu ma dose dans le coin.

J'arrive à Adıyaman. Mais là, je suis toujours en réflexion, surtout que la zone de Nemrut est dans des petites montagnes, sympa quoi. Ok, machine arrière (60 kms), je vais faire un tour. La journée touche sa fin et j'arrive au village de Narince, dans la vallée, 20 kms avant le sommet en question. C'est un peu la zone ici, assez poussiéreux, tout se passe dans la rue et les déchets s'entassent au grés du vent contre les murs en pierres, mais bonne ambiance.

De fil en aiguille, je vais être hébergé pour la nuit et je pourrai partir demain, avec les gars d'un chantier, vers le mont. Super, mais une heure plus tard, changement de programme : je partirai bien avec les gars.. mais pour bosser !! ah c'est ENORME !


Que demander de plus ?: j'adore bosser sur les chantiers, ça se passe en montagne, je suis nourri logé et c'est 20 YTL, soit 11 euros la journée, dans la poche. Un peu de boulot pour quelques jours quoi. Enfin, je ne pensais rester que 3 ou 4 jours au début, mais le chantier dure, je m'intègre bien dans la vie du village et on me retient pas mal aussi. Alors banco, cela fera une expérience sympa. Je resterai au final 3 semaines, avec 11 jours à bosser sérieusement.


Le chantier de Nemrut

Une route en pavées a été construite pour arriver au sommet de la montagne (un peu plus de 2000m d'altitude). Le boulot consiste à faire les bordures de la route en béton, pour que ce soit nickel, et les caniveaux en pierres pour l'écoulement de l'eau. Je participerai juste à un petit bout de tout cela (la fin en fait), car ce sont des mois de travail au total.

Nous sommes une quinzaine de gars à bosser, et c'est tout à la main. Il y a un tracteur pour déplacer les citernes d'eau ou faire du transport avec une remorque. Mais quelle ambiance dans la montagne... je suis aux anges, sauf que j'ai failli ne pas tenir le rythme. C'est incroyable, je n'ai jamais vu des types bosser comme ca. Sur des fins de journées, je suis au bout de la rupture physique, et pourtant je ne suis pas un branleur, garantie. Je resterai en admiration sur la façon dont ils travaillent, autant ceux de 40 ans que les jeunes de 18-20 ans.



Aux potes des chantiers : c'est un truc de fou !! Remuer tout le béton, ou mortier pour les joints des caniveaux, à la main et pendant toute la journée, ça casse. Les gars sont des vaillants et ils n'ont pas peur de tomber jusqu'a 3 tonnes de ciment par jour (sans compter le sable et le gravier). 3 tonnes de ciment pour peut être 15m3 de béton, mais je n'ai jamais réussi à tout bien calculer. 400m linéaires de bordures est une bonne journée. Bref, ça reste que c'est gaillard !! Surtout quand on voit l'état de certaines brouettes ou bien les pelles à l'arrache. Mais on s'y fait.



La gamelle à midi :

Fin de matinée, le chef Habbip prépare la tambouille avec un petit feu entre 4 pierres. Un drap par terre ou une planche et ce moment est royal. Le thé est en train de chauffer et la carabine est posée à coté s'il y a un oiseau qui passe. Le paysage est très caillouteux, il fait bon au soleil mais il pèle grave le matin ou s'il y a un peu de vent (d'ailleurs un produit est ajoute dans le béton pour qu'il ne gèle pas) et intempéries, 'un-temps-pourri', si le vent est trop fort.

Une fin de journée :

Il ne faut pas rechigner pour aller décharger les 5 tonnes de ciment qui viennent d'arriver, c'est pour demain et après demain. Je rejoins Mahmut, Abdoulah et Hussein, la musique au taquet qui sort du poste du camion, et en 10 minutes les 100 sacs de 50 Kgs sont empilés sur la route. Le soleil est déjà passé derrière la montagne.


Le retour au village :

Quand il y a la forme, c'est la fête dans le petit bus. Surtout que Cemil (moi même) est un peu le clown de service, avec mon pote Chaoucat. A donf pour redescendre dans la vallée, des couleurs rouges dans le ciel, la musique kurde, je danse entre 3 sacs de ciment, je me casse la gueule dans les virages, un chèche sur la tête, tout le monde qui tape des mains, c'est assez taré l'ambiance... puis coup de carabine d'Aslan par la fenêtre, Mustafa tire avec son pistolet, tout cela est débile !! Ces moments resteront magiques.


La fin du chantier :

Mon nom a été gravé, Şeytan Cemil, au niveau d'un virage. Sur la dernière journée, nous partons récupérer un tanker (une citerne d'eau), qui avait dévalé la route il y a un petit moment, 400m plus bas. Je me demande comment le tracteur arrive à passer dans le petit chemin. Accroché avec un câble, le trophée est ramené vers la route. Nous marchons tous derrière, tirs de carabine, un feu qui fini de brûler sur le coté, l'ambiance est indescriptible. Le tanker sera chargé dans la remorque du tracteur avec une bétonnière, out of service bien sûr, le tout avec des manœuvres de nuit aux phares du petit bus.

J'ai la larme à l'œil pour ce chantier qui s'achève. Habbip, Aslan, Mahmut *2, Chaou, Memet *2, Şener, Abdoulah, Ismail, Amjahmal, Hussein, Ismet et Cenine auront été mes collègues.


Au village, je reste encore quelques jours dans la vie de la famille de Memet Kurt, de Bekir de la Boulangerie, de Gülin de la menuiserie, de ceux de la boucherie, des profs de l'école et de tous les autres. Mais ma route doit continuer. Le départ n'est pas évident mais je suis quand même bien content de reprendre la route, et fini les 'Cemil Cemil !!' 150 fois dans la journée.


Notes

Les femmes portent le voile, mais cela semble rester assez cool et ça fait plutôt genre foulard (enfin, foulard qu'elles ne quittent jamais). C'est juste rallant de voir ces filles vivrent au village, aux travaux de la maison et des champs et un peu 'condamnées' à rester là toute leur vie, à moins d'être mariées à un gars de la ville. En tous cas, je suis tombé 'amoureux' de plusieurs, certaines sont magnifiques.

Les familles sont grandes, souvent une bonne dizaine de gosses. Les enfants travaillent très jeunes à la campagne. Pour tous, à leur physique, on leur donne facilement 3 ou 4 ans de plus que ce qu'ils ont. J'ai été impressionne par le boulot, la débrouille et la force de certains.



Les kurdes

Les kurdes sont un peuple du Moyen-Orient, mais ils n'ont pas d'Etat à eux. Ils sont divisés principalement entre la Turquie, l'Iran et l'Irak, mais nous les trouvons aussi en Syrie, Azerbaïdjan et Arménie. Quand ils sont considérés dans ces pays, c'est en tant que minorités.

14 Millions de kurdes, dont une bonne moitié, vivent en Turquie (80 Millions d'habitants). Ils sont localisés dans le sud-est du pays, sur environ 30% du territoire, d'Adıyaman et Malatya jusqu'à la frontière iranienne, et jusqu'à Kars au nord. Erzurum en compte peu. Bref, la vie n'a pas été facile dans ces régions, surtout dans les années 1990. Diyarbakır, capitale du 'Kurdistan turc' a été le centre de nombreux combats entre l'armée turque et les combattants du PKK, parti des travailleurs du Kurdistan, pendant plusieurs années, plus de 30000 victimes.


Aujourd'hui, la situation est plutôt calme, même si la présence militaire se fait bien sentir. La Turquie redoute qu'un Kurdistan autonome en Irak (depuis le bordel avec l'intervention américaine en 2003) ne donne des idées à ceux d'ici, ou que ces régions ne servent de base de repli pour les mouvements de guérilla.

De mon coté, je ne savais pas trop si j'allais mettre les pieds dans ces régions, mais finalement banco, je fais route vers le lac de Van, pour remonter ensuite vers Erzurum.




Narince, village kurde

(3 semaines)